Adjoua appréciant un thé.
Histoire de transition
J’avais dû promettre d’en parler la dernière fois et puis le temps n’ayant rien d’autre à faire que de passer, j’ai dû oublier. En vérité, comme ce projet est sur de (très) bons rails, ça me fait surtout une occasion de fêter les bonnes nouvelles (acceptation du projet par un éditeur pour les deux du fond qui n’auraient pas compris l’allusion foireuse) et d’en causer.
Séance de thé et considérations oiseuses sur l’écriture d’un scénario en cours.
Il faut être honnête, si d’un côté je suis enclin à m’interroger sur l’acte d’écriture des écrivains que j’aime, il n’en va pas de même pour moi.
J’ai toujours cette vilaine tendance à en rester au factuel, à mémoriser ce qu’il y a en amont de l’idée et du travail, mais c’est plus pour poser une guirlande culturelle en guise de faire valoir. Puisque tout est culturel, ça doit faire du bien de se sentir au sommet à guetter si de l’ubac ou de l’adret ne remonte pas un remugle inconscient, un panache venant tout droit du refoulé.
C’est pour ça que l’un des grands avantages à travailler à deux, c’est de pouvoir verbaliser l’idée, de s’obliger à la partager sous une forme compréhensible, pas encore digeste mais suffisamment élaborée pour être comprise et analysée par l’autre. Ce dialogue a le mérite d’anéantir les doutes, les considérations pesantes sur le pourquoi, les digressions dialectiques et surtout il remet à plat la nécessité d’avancer.
Néanmoins les considérations de ce type ne mèneraient pas loin sans une bonne dose de rencontre et de travail.
Notre projet autour du thé avance à grand pas (n’ayons pas peur des images galvaudées, ça permet de les ancrer un peu plus dans les normes et d’éviter d’avoir à les cataloguer comme figure de style). L’histoire se déroule sur trois chapitres (et je ne vous parle même pas des pays visités).
Le premier est entièrement écrit, découpé, dialogué. Le troisième suit une voie similaire, enfin on va dire que l’on sait où l’on va, ce qu’il y aura à chaque planche et que le découpage va débuter sous peu. La deuxième partie commence à sortir du garage et aimerait se mettre en rodage, gageons que ça ne saurait tarder.
Comme nous aimons bien travailler autour de l’entrelacement de plusieurs récits (et temporalités), faire se répondre deux récits dans le premier chapitre fut un plaisir. En revanche le cas se complique un peu pour la deuxième partie. Il va nous falloir traiter des personnages adultes et en proie à une passion amoureuse, néanmoins cette dernière ne sera que suggérer puisqu’il sera également question d’évoquer un conflit minier.territorial en Afrique, le tout sur fond de parallèles historiques avec l’histoire du thé.
Concrètement, ça veut dire des séances de réflexion autour d’une idée. Séances qui durent peu de temps puisque très vite l’élément central est trouvé : l’héroïne sera devenue adulte et connaîtra une histoire d’amour (oui, nous plongeons allégrement la main dans le pot à poncif, ça va plus vite). C’est ensuite que cela se complique, car donner un arrière-plan politique nous titille. C’est le moment des recherches. En ce qui nous concerne, il s’agit moins de précision historique (bien que le tout doit être aussi précis que possible) que de crédibilité (historique mais aussi humaine). A ce stade la difficulté est de parvenir à un équilibre entre d’un côté les contraintes factuelles que vous vous êtes fixées (tel pays, tel gouvernement, tel lieu, telle époque) et de l’autre le comportement des personnages. Ainsi, l’héroïne est-elle devenue reporter de guerre, cela permet de lier les deux éléments sans grandes difficultés. Mais la petite fille que l’on montre précédemment avait-elle cette « prédisposition » pour le lecteur ? La femme âgée qui terminera l’histoire sera-t-elle encore du genre à chercher le frisson et l’aventure ? Sans compter que c’est bien beau tout ça, mais une femme, reporter de guerre, en Afrique à l’époque choisie, c’est viable ? Est-ce son amoureux du moment, pourquoi est-il là ? Quelle relation ont-ils ? Je vous épargne, la liste est connue et trop longue.
Autant de questions qui appellent une réponse. L’originalité en bande dessinée, vient en premier lieu du dessin, de ce moment où des traits frappent la rétine, il y a là un attrait qui est bien souvent immédiat. Ce n’est que plus tard, au fil des ellipses des cases et des pages qui se tournent que la concrétisation de cet attrait s’opère ou non. Ecrire un scénario « original » pour être original peut être (si on est doué) chose « facile », mais sans lien avec le dessin, sans une union efficace, il ne sera que ça, qu’un scénario original. La question est plus complexe, bien évidemment, mais elle suppose notre vigilance de tous les instants.
L’équilibre que l’on recherche (et que l’on espère trouver) doit être présent mais distillé à part égale entre mise en case, dialogue et non-dit (un non-dit qui contient une part de non-montré en ce qui concerne la bande dessinée).
Le jeu est fascinant, c’est une construction fragile qui suppose (quand vous n’avez pas votre dessinateur sous la main) de construire une réalité en laissant des blancs à votre interlocuteur.
Tout cela serait déjà amusant (on sent la pointe d’ironie ?), mais comme le premier chapitre suppose l’enchâssement dans récit dans un autre, nous nous sommes dits que nous pourrions continuer sur cette lancée. C’est pourquoi, en plus de proposer une histoire politique et d’effleurer une relation amoureuse (ce qui n’empêche pas le drame. C’est même tout à fait l’inverse, il va falloir être habile pour suggérer tout en permettant l’identification du lecteur), certains propos seront illustrer par des « vignettes » historiques autour du thé.
C’est à cet instant, quand vous sentez les idées crépiter entre vos réseaux neuronaux et vos doigts que la frustration pointe le bout de son double canon scié (en sifflotant parce qu’elle se prend pour Omar Little). Chacune de ces vignettes suppose des recherches, chaque recherche se trimballe avec son lot d’ouvrages et tandis que l’on croule sous les « bonnes idées » et les « envies de raconter » le nombre de pages alloué au chapitre se rappelle à vos bons souvenirs : 20. Nous n’avons droit qu’à 20 pages maximum pour raconter tout cela. Blake et Mortimer s’en sortirait haut la main…
Bref, c’était quelques considérations sur le pouce, la prochaine fois j’évoquerais la transition centrale du premier chapitre afin d’être plus concret.
Comme tout ceci est encore au stade de l’écriture, nous avons hâte de pouvoir vous montrer quelques images, j’ai égayé ce long monologue d’une prise de thé pendant le travail. Surtout ça permettra de remarquer qu’il s’agit d’un travail à la forme avant tout pratique. Pour que le document soit viable pour le dessinateur, il doit être précis. Une proposition de découpage en haut de la page, une description de ce que l’on voit (et de comment on le voit) pour chaque case et les dialogues en face. Un document qui a l’avantage de pouvoir être modifié mais surtout (c’est le but) interpréter par tous les collaborateurs.
Passion Médiévistes – Episode 1 « Justine et la reine Gerberge » (ou comment les historiens arborescent dans vos prises de notes)
Mon dieu que ce titre n’est qu’informatif, mais au moins on peut cliquer sur l’image ou là.
Au milieu du fatras pseudo organisé qui est supposé me servir de sources d’inspiration potentielle, il y a des perles. Enfin, pour tenter de le dire plus clairement, disons que j’ai la fâcheuse tendance à opérer des recherches sur un projets avant de me perdre dans les « résultats » de ces recherches car j’y trouve prétexte à autant de nouveaux sujets, une manière d’alimenter la procrastination en faisant passer ça pour de la curiosité en quelque sorte, ou alors je construits l’arbre généalogique idéal. Finalement vouloir écrire des histoires cela revient parfois à combiner les pièces de différents puzzles dont on a pas les images (et au vu de la qualité de mes comparaisons, je suis heureux de ne faire ni poète, ni romancier). Bref, au milieu des projets il y a celui – énorme – visant à raconter une histoire sur un siècle durant le haut moyen-âge.
Un boulot qui demande un travail de fond assez énorme, car si le décor est idéal (l’actuelle Champagne) il n’en reste pas moins que des recherches sont nécessaires pour essayer de cerner le contexte, les faits, les modes de vies afin de cerner au mieux les « mentalités » de l’époque. Un boulot passionnant puisqu’il s’échafaude autour de mille détails (au départ avoir « un moulin sur la carte » était un détail, c’est désormais devenu un élément central), un boulot qui réclamerait également de parler latin. Un boulot parfois mal fait car il suppose d’avoir de bons réflexes d’historien, de lire les bonnes sources, de savoir garder à l’esprit nos propres travers.
C’est donc avec joie que je suis tombé dans le moelleux confort de ce premier podcast( toi aussi prend-toi pour Desdémone à peu de frais.)
Fanny Cohen Moreau a la bonne idée d’interroger des étudiants médiévistes sur le pourquoi et le comment de leur parcours et de leur recherche. Une initiative comme il y en a déjà quelques unes sur internet et qui a le bon goût de nous rappeler à quel point le partage peut bouger des lignes sans avoir vocation à changer le monde (un coup à se prendre pour Don Pedro d’Alfaroubeira, j’vous l’dis).
Un générique sympathique (pour qui « connaît la chanson », notamment), une première invitée qui maîtrise (c’est le cas de le dire) son sujet, des questions permettant la découverte et la précision, un format abordable.
Tout pour plaire donc.
Enfin, « tout » c’est relatif, ça serait même plutôt l’inverse.
Parce qu’à la base, en situant une histoire se déroulant entre 850 et 950, on (mon co-scénariste d’ami et moi, il faudra que je pense à être plus clair au fil du temps) pensant avoir à se coltiner Hincmar, deux trois clins d’oeil à la pastoutafaitencore cathédrale rémoise, aux futures collines à vignes, mais voilà qu’il va falloir compter avec une reine !!!
13minutes de podcast, 13 minutes de prise de note et quelques bonnes dizaines d’heures à venir durant lesquelles il va falloir retravailler les rapports de force entre les instances politiques.
Finalement, il est très bien ce podcast, mais je me demande combien d’épisodes sont prévus histoire de savoir si je continu à écrire ou si j’attends la fin pour tout refaire.
Opium
Voilà bien le genre de fausse bonne idée qui à défaut de vous pourrir la vie quelques minutes – un peu comme quand on se cogne l’orteil à un pied de table ou quand on a le malheur d’allumer la radio pour entendre parler d’affaires au lieu de politique – peut vous entrainer dans des méandres pour le moins tentaculaire.
En vue d’un projet avec Koffi Roger N’Guessan, nous avons décidé de nous laisser sur le thé. En vérité ça serait plutôt l’inverse, c’est notre amour du thé à Robert et à moi qui nous a portés à utiliser ce breuvage comme prétexte à l’histoire d’une vie.
Seulement voilà, une fois que vous trouvez intéressant de raconter la vie d’une héroïne à travers son rapport au thé, vous avez tôt fait de lui trouver un amoureux, un amoureux qui ne trouve rien de mieux à faire que le reporter photographe cultivé pour dorer son égo (et pour partir se dorer la pilule au milieu d’un champ de tir, parce que c’est bien connu le napalm et les impacts de balles ça vous assure un teint frais de baroudeur canaille). Histoire de lui donner un peu de contenance, de bagout et de le rendre un brin paternaliste-moralisateur chiant, voilà que nous avons l’idée de le faire causer sur la première guerre de l’opium et sur le thé…
Ceci expliquant ce choix de lecture, parce que bon quitte à faire l’idiot avec deux trois dialogues autant que ces derniers aient du grain à moudre (ou de l’opium à bruler ou un long jing à boire).
Cet ouvrage est original parce qu’il propose une lecture plus sociale que vraiment historique de l’époque, des rapports entre la Chine et ses voisins, entre la Chine et les puissances d’alors (Grande Bretagne quand tu nous tiens) mais aussi entre les différentes strates du pouvoir chinois (de l’empereur aux paysans en passant par les fonctionnaires corrompus) ; le portrait qui se peint est plus détaillé et plus complexe que ce qu’on pourrait croire. Les méfaits de l’opium y sont revus parfois à la hausse, parfois à la baisse et surtout on y découvre tout un monde de tractation aussi guerrière que commerciale, le tout dans une perspective culturelle et morale étonnante (pour nos carcans et nos certitudes d’occidentaux).
En prime, on apprend à cultiver, récolter, confectionner, vendre et fumer l’opium… le rêve.
Feuilles mortes et mauvaises herbes
De mémoire j’ai lu ces mots dans un roman de David Peace, sur le coup l’association m’avait marqué, sans doute cela me rappelle-t-il ce qu’on laisse pour compte, ce que l’on déblaye, ce que l’on repousse, ce que l’on met de côté, ce que l’on arrache et que l’on désherbe à seule fin de faire place à la « vrai nature », celle que l’on se doit de dompter pour faire croire qu’on se trouve en haut de la chaîne alimentaire. Mais, le britannique, presque japonais, devait avoir en tête quelque chose de plus organique, de l’ordre de ce qui grouille.
Je ne suis pas persuadé qu’attaquer un blog avec autant d’entrain soit la plus saine des solutions, mais quitte à commencer quelque part autant se mettre au ras de pâquerette, à hauteur de ce que l’on ne voit plus, de ce qui gêne, sans toutefois avoir la prétention au rhizome. Après tout, il sera toujours temps de voir si l’on pourra s’élever ou s’il faudra plonger au coeurs des racines.
Bref, un blog – à l’ancienne, parce que l’old school c’est cool mais ça vieillit vite – histoire de tenir un journal de recherche et de trucs qui passent par la tête.
Je suis l’un des heureux coscénariste du projet de bande dessinée « la case blanche » en collaboration avec mon comparse et néanmoins ami Robert Djaï pour tenir la plume et avec le talentueux (n’ayons pas peur des mots) Massiré au crayon (et autres outils d’artiste).
Une scabreuse histoire de mine, de meurtre, de mémoire et de racisme au temps de la colonisation, tout un programme que l’on espère noir et surprenant, vous aurez, on l’espère, la joie de lire ces albums aux éditions l’Harmattan d’ici quelques mois.
Un éditeur qui prend le risque (enfin qui se tient à une politique éditoriale) de publier de la bande dessinée à consonance africaine (comme on dit), un éditeur qui nous a permis de travailler sur le collectif des Contes de Morne plage et de rencontrer Koffi Roger N’Guessan avec lequel nous mis en route un projet autour du thé (des scénaristes de France avec un dessinateur de Côte d’Ivoire pour parler d’une boisson chinoise en évoquant l’Angleterre ou encore les USA, sans oublier l’Afrique, il y a de quoi s’amuser).
Je vais donc être amené à évoquer les lectures, recherches, découvertes, pistes et fausses-pistes liées à ces projets et à d’autres… puisque le propre du scénariste est d’avoir des idées en tête et l’oeil à l’affût de la dessinatrice ou du dessinateur qui serait prêt à venir se jeter dans ces filets.
En plus de ces cases et bulles tournées vers l’Afrique (mais pas seulement) nous avons dans notre besace un projet se déroulant pendant le haut moyen-âge, une histoire de botte, de moulin, de chat et de conte, ne manque plus que quelqu’un pour tenir le crayon.